1999 – Cuisine de la maison des Fawkes, Chicago. +

Theodore n’arrêtait pas de tourner et retourner l’enveloppe entre ses mains. Il fixait anxieusement le logo de l’université imprimé en haut à gauche. Cela faisait bien dix minutes que sa mère était allée chercher le courrier, et lui avait donné la missive tant attendue. Son destin était entre ses mains, et il se sentait incapable de le découvrir. A cet instant précis, il repensait aux heures passées à la bibliothèque de son lycée à travailler, ou alors à s’investir dans diverses activités extrascolaires (capitaine de l’équipe de basketball, stagiaire au journal local, engagement politique, tutorat d’élèves plus jeunes). Est-ce que ces efforts allaient finalement payer ? Allait-il devoir se contenter d’une université de seconde zone ? « Bon, tu vas l’ouvrir cette lettre bordel ? »

L’adolescent leva les yeux vers son grand frère qui se tenait dans l’encadrement de la porte. L’étudiant en droit à l’Université de Chicago, de trois ans son aîné, semblait malgré sa prestance habituelle, tout aussi anxieux que Theodore. « Et si j’ai raté ? » Le grand blond haussa les épaules. « Tu y arriveras pas un autre moyen. Tu y arriveras Theo. Allez, ouvre-la. » Les deux Fawkes échangèrent un sourire, un dernier regard, puis, le plus jeune ouvrit maladroitement l’enveloppe. Ses yeux bleus parcoururent rapidement les mots dactylographiés. Monsieur Fawkes Theodore…

« Oh fuck ! » Son grand frère bondit à ses côtés, et lui arracha la lettre des mains. Il lut lui aussi la lettre…d’admission. « A toi New York mon vieux ! » Cria-t-il en levant le poing en l’air. Au même moment, la mère des deux garçons entra dans la pièce, et fondit aussitôt en larmes lorsqu'elle comprit la raison de la joie de ses enfants.

Admis à l'Université de Columbia. Le prix Pulizter (oui, autant viser très haut) se rapprochait.


2011 – Appartement de Theodore, Washington +

Prostré sur son fauteuil en cuir préféré Theodore fixait le mur en face de lui depuis plusieurs heures déjà. Sa mâchoire était serrée, ses yeux étaient rouges à cause des larmes qu’il n’avait pas réussi à retenir. Une chanson qu’il ne connaissait pas il y a encore peu de temps s’échappait des enceintes de la radio. Last night I dreamt that somebody loved me… Camila avait toujours apprécié les grandes mises en scène. Pour lui annoncer qu’elle était enceinte, elle avait accroché des photos de la première écographie un peu partout. Pour leur pendaison de crémaillère, il l’avait laissé dépenser une somme astronomique pour qu’elle organise la soirée parfaite. Elle lui avait d’ailleurs reproché son manque d’originalité quand il lui avait un jour simplement demandé si elle voulait bien emménager avec lui. Theodore avait déjà trouvé la demande suffisamment originale, pour lui qui évitait tout genre d’engagement.

Pour leur rupture, Camila avait mis les petits plats dans les grands. Il s’était absenté pendant deux semaines pour suivre l’élection de l’assemblée constituante en Tunisie, et les conséquences de ce scrutin. Ca avait été les deux semaines de trop pour sa compagne.

A son arrivée, l’appartement était vide. Camila n’était pas là, de même que Louis, leur fils de trois mois. Seule résonnait cette chanson. No hope, no harm. Il fut un temps où pour qualifier leur relation, Camila lui fredonnait au creux de l'oreille une autre chanson de The Smiths. C'était terminé. C'est d'ailleurs ces mots qu'elle avait écrit sur la lettre froissée posée sur la table basse du salon. Le jeune homme pouvait entendre sa voix dans sa tête.

« Theodore, mon amour. » C’était assez ironique de l’appeler ainsi à un tel moment. « Quand tu arriveras dans notre appartement, je serai déjà partie depuis longtemps. Louis (notre fils, tu te souviens que tu en as un ?) est avec moi. » Comme s’il pouvait l’oublier, ce gamin qu’il avait accepté, qu’il aimait. « Nous sommes à Chicago chez mes parents. Je ne supporte plus tes absences, le fait de savoir que tu pourrais ne pas revenir. Je comprends ta passion. Je te soutiens depuis l’université, depuis notre rencontre dans cette soirée à Columbia. J’ai toujours cru en toi. Cependant, tu sembles m’avoir oublié. Tu aimes plus tes articles que moi. Je ne suis pas partageuse. Appelle-moi pour qu’on parle de Louis. Merci pour les années de bonheur que tu m’as donné. Camila. »

Camila, ou l'art de briser le coeur d'un homme en une quinzaine de lignes.


2013 – Une chambre d’un hôtel luxueux, Washington +

« Tu pars combien de temps cette fois ? » Demanda-t-elle tandis qu’il reboutonnait sa chemise à la hâte. Il allait être en retard pour un énième rendez-vous avant son départ pour la République centrafricaine. Il n’aurait pas du accepter de la voir, à chaque fois il ne parvenait jamais à la quitter. « Je ne sais pas. Ca dépend toujours tu sais… Je serai de retour dans quinze jours au mieux. » Theodore se tourna vers la femme blonde étendue nonchalamment sur le lit. Elle ne s’était pas encore rhabillée. Il eu besoin de toute la volonté du monde pour détourner son regard d’elle et de son corps qu’il avait désiré tant de fois. « Je ne vais quand même pas te manquer. Tu vas être bien occupée avec notre président Morgan. » Dit-il sur le ton de la plaisanterie. « Non, bien sûr. Je tenais juste à savoir combien de temps je serai tranquille. »

C’était toujours ainsi entre Theodore et Apolline, la fameuse blonde. Elle travaillait au sein de la Maison Blanche, en tant que (brillante) conseillère du Président. Ils s’étaient rencontrés lors d’une réception donnée à l’Ambassade d’Afrique du Sud. Ayant rédigé plusieurs articles (brillants également) sur ce pays, Theodore avait été invité. Ne souhaitant pas détériorer ses relations avec l’ambassadeur, il s’y était rendu, en traînant les pieds évidemment. La soirée n’avait pas été si horrible que ça étant donné qu’il avait terminé dans le lit d’Apolline. Elle avait assuré que ce n’était pas dans ses habitudes, comme s’il s’en souciait

Ils s’étaient revus, plusieurs fois. Elle prétendait l’appeler lui car il était le seul de ses amants disponible. Il essayait de la considérer comme une conquête sans importance. En résumé, ils n’avaient absolument pas besoin de l’autre, mais ils finissaient toujours pas se retrouver ensemble. Paradoxal. Peu de gens étaient au courant de cette « relation » ; il serait mal vu qu’une proche du Président des Etats-Unis partage des moments torrides avec un reporter parfois dérangeant. De plus, ils tiennent bien trop à leur liberté respective.

« Tu n’as pas vu ma cravate ? » Il avait réussi à retrouver ses vêtements, tous enlevés à la hâte deux heures plus tôt. Il ne lui manquait plus que ça. « Si. Viens par là. » Il se tourna une nouvelle fois vers elle. Elle se tenait debout, là, dans toute sa splendeur, toujours nue bien sûr. Apolline passa la fameuse cravate autour du cou de son amant, et en profita pour le rapprocher d’elle. « Apo… Je vais être en retard… » Elle haussa les sourcils. « Et alors ? Et depuis quand tu m’appelles Apo ? » La blonde s’empara des lèvres du journaliste qui cédait déjà. « Non mais… » Un baiser. « Ce n’est pas du tout… » Encore un autre. « Raisonnable. »

Son corps le trahissait. Ses mains s'aventuraient déjà sur le corps de la jeune femme. « Depuis quand le grand Theodore Fawkes est-il raisonnable ? » Murmura-t-elle en l'entraînant vers le lit une nouvelle fois. Il se passerait de son rendez-vous.