Parce que tout le monde a son histoire +

« Alors, ça donne quoi pour le moment ? » Les mains sur les hanches, la candidate aux prochaines élections faisait les cent pas dans son bureau et le bruit de ses talons contre le sol commençait sérieusement à agacer ses collègues, mais aucun d'eux n'osait le lui reprocher. « Tu peux te mettre l'électorat populaire dans la poche. Surtout si on entend parler de ton histoire … » lâcha un homme qui feuilletait en même temps les pages d'une revue politique. Native de Jackson, dans le Mississippi, son enfance n'avait pas été très heureuse. Et pourtant, Eleanor ne s'en était jamais plainte une seule fois. Elle s'arrangeait plutôt pour en tirer de nombreux avantages. Eleanor était une femme du peuple, celui qu'on ignorait, celui qu'on laissait macérer dans sa propre merde. Elle avait vécu/survécu en supportant l'alcoolisme et la violence passagère de sa mère, les absences à répétition d'un père qui cumulait les heures de travail ou bien les maitresses, on ne savait pas trop. Les services sociaux auraient dû la remarquer, l'arracher à cette famille pour la placer chez des gens meilleurs, mais jamais ce ne fut le cas. Alors au lieu d'attendre une quelconque réaction de la part d'autrui, Eleanor ne compta que sur elle-même et l'espoir d'un avenir meilleur. Forcément, certains moment de sa vie influencaient son orientation politique et ses idées. Logiquement, une partie de la population, délaissée par les élites politiques, s'identifiait à elle, adhérait et promettait de la soutenir tout au long de sa campagne. «On peut avoir une bonne partie de la Lower Middle Class de notre côté. » affirma une femme concentrée sur son écran d'ordinateur et les informations qu'elle recevait également sur ses deux smart-phones. Tout comme cette nouvelle bourgeoisie, Eleanor était un pur produit de la méritocratie, la preuve vivante que tout le monde, peu importe sa place au sein de la société, pouvait se hisser au sommet en fréquentant les meilleures écoles, les élites. Elle prêta attention à l'image renvoyée à ses camarades, à ses professeurs, travailla plus pour obtenir un excellent dossier, adopta un comportement exemplaire, ne fréquenta que des personnes susceptibles - issues des hautes sphères de la société, donc. - de lui apprendre – indirectement. - une meilleure façon de s'exprimer et de se tenir. Grâce au programme de discrimination positive, Eleanor quitta sa ville natale pour intégrer l'université de Chicago et y étudier les Sciences Politiques. Si elle ne s'y fit pas fait beaucoup d'amis, elle n'eut jamais d'ennemis non plus. « Peut-être même la Upper Middle Class. Enfin, il va falloir y travailler comme avec la Upper Class. C'est pas une surprise. » Eleanor le savait, elle avait d'ailleurs passer quelques années de sa vie à essayer de comprendre leurs valeurs, leurs expressions, leurs styles vestimentaires. Ce n'était pas pour se fondre dans la masse des riches et devenir comme eux, mais plutôt pour trouver le moyen de leur plaire et se construire des relations. Une fois son diplôme en poche, elle eu besoin de se trouver un emploi. Elle débuta en tant que stagiaire au Chicago Tribune pour apprendre jusqu'à pouvoir se rapprocher du maire de Chicago en travaillant pour lui. Eleanor connaissait le milieu comme sa poche. Les campagnes et les mandats, elle les avait suivi de près. Chaque coup tordu, chaque nouvelle polémique, les pots de vins, les alliances, les trahisons, les mensonges, les crises, chaque rebondissement au sein du milieu politique... Priestley avait eu le temps de tout bien apprendre avant de prendre la décision de se présenter à son tour, en tant que candidate aux élections municipales, après que le maire actuel ait décidé de prendre sa retraite. « Je le sais déjà ça ! Je voudrais savoir où ça en est au niveau des minorités ethniques, des jeunes, des chômeurs... Je veux des informations plus précises, savoir si on doit laisser tomber certaines catégories de la population pour mieux se consacrer à d'autres. » Elle marchait toujours dans la pièce, parlait sans s'adresser à une personne en particulier. La sonnerie de son téléphone la coupa. Pendant que l'écran du smart-phone défilait sous ses doigts, son équipe resta silencieuse. Quand elle releva la tête, son regard passa sur tous les visages qui lui faisaient face. « Je veux également savoir ce qu'il se passe de l'autre côté. Je veux absolument tout savoir ! Soyez plus rapide que les médias. Est-ce que c'est clair ? » Un sourire s'afficha sur les lèvres de la démocrate. Sa voix devint plus douce. « Sur ce, je vous souhaite une agréable journée. Nous devons y aller. » Eleanor Priestley et sa directrice de campagne quittèrent le local pour prendre une voiture et rejoindre les bureaux d'un journal pour subir une énième fois le caractère insupportable d'un journaliste trop curieux, seulement intéressé par le scandale.