Il commença à avoir mal aux poignets, à la nuque, au dos, aux doigts. Son écran d'ordinateur est le seul éclairage dans la pièce — et il ne l'abandonne que pour mieux recharger ses batteries par un café serré et un nouveau paquet de Lucky Strike. Il n'est vêtu que d'un boxer, l'atmosphère de son appartement ne prêtant pas à frissonner. Ses yeux reprennent depuis le début du manuscrit, distinguant déjà les incohérences, les fautes d'inattention, les dialogues à refaire (ce qu'il juge de plus important dans les récits, et qui lui fait perdre aisément des heures). Son esprit imbrique les différents éléments, émettant un signal d'alarme lorsqu'un détail lui parait trop incongru. Soupirant une volute grisâtre, Dylan en vient à consulter ses mails — agent soucieux de savoir quand il aura un manuscrit, amies souhaitant savoir quand il reviendra dédicacer leurs culottes dans telles villes ; deux-trois spams. Il est à Boston depuis deux semaines mais convoite déjà un exil, éphémère et éternel. Il cesse d'écrire pour aller prendre une douche, se sachant déjà condamner par son insomnie à ne pas dormir de la nuit. Sa main ne cesse de monter les degrés de l'eau, la vapeur chaude englobant toute la salle de bain alors que sa peau le brûle sans que ce ne soit assez à son goût. Ses doutes, ses craintes, ses peurs sont comme tapies dans l'ombre, leurs dents touchant le parquet : leurs yeux rouges ne le lâchant pas. Il sait qu'il imagine tout cela — il sait qu'il ne peut pas s'en empêcher. Tout son corps est atteint d'une fièvre agressive alors qu'il s'entoure d'un peignoir et qu'il va jusqu'à son lit. Cette suite n'est pas idyllique mais c'est un premier pas vers le succès, la consécration. On le reconnait dans la rue. Il a eu le droit à quelques interviews. Hollywood s'intéresse à lui. Pendant plus d'une heure, il reste immobile, se fixant sur le bruit de la pluie qui commence à tomber dehors. Ses nerfs se détendent, et il se surprend à somnoler/dormir avant que son téléphone portable ne vibre, ne vibre, et tombe sur le sol. Il fait jour.

« ...et puis au final ceci n'était qu'éphémère, n'est-ce pas?, un silence, Dylan? » Il revint dans la réalité, aussi brusquement qu'un homme s'extirpant d'une masse d'eau. Maggie n'est pour le moment vêtue que d'un string, s'essayant à minimiser les conséquences de tout ceci. Qu'il ne veuille plus la côtoyer — charnellement. Elle écume sa rage en déversant des monologues, ayant du mal à remettre son soutien-gorge, sa robe. Ses mains tremblent mais Dylan reste assis sur le rebord du lit, l'air vaguement ennuyé. Tout cela n'est pas inédit, sauf peut être la raison de cette "rupture" : il ne la connait qu'à peine, rencontré dans un dîner mondain où les femmes cherchent des amants, des futurs époux, pour sauver leur semblant d'existence inutile. Et les hommes, par pitié ou lubricité, les prennent dans la première chambre d'hôtel qu'ils louent et leur promettent des jours paisibles à l'ombre des ennuis. Dylan ne voyait cependant en la blonde qu'une pâle copie d'une autre, et cela était d'autant plus frappant lorsqu'elle parlait. « Tu pourras toujours me joindre tu sais.. Rien n'est gravé dans le marbre... » Elle s'essaie à se faire sensuelle, posant même ses mains sur les épaules de Dylan, cherchant à vouloir se placer à califourchon sur lui : il brise l'élan en se relevant, un sourire au coin des lèvres pour ne pas offenser davantage la jeune femme. Il la rassure. Lui dit qu'il ne manquerait pas d'y penser, qu'il lui souhaite d'ici là de prendre soin d'elle. Dylan voit bien déjà dans les yeux de Maggie qu'elle l'a catalogué et qu'il n'aurait plus jamais l'autorisation de la voir nue. Elle s'en fait une fierté, croit qu'elle a le dessus mais d'ici une semaine elle arpentera probablement à nouveau des dîners/soirées. L'écrivain retrouve le calme lorsqu'elle s'engage enfin hors de l'appartement, et il confirme par téléphone qu'il sera prêt pour la séance de dédicace ce week-end. Un texto également à Riley : l'invitant à ce qu'ils se voient d'ici peu, espérant qu'elle soit libre. Il regrette presque son acte puis s'abandonne dans le désir de la revoir/toucher, d'inscrire un autre souvenir dans sa boite crânienne.


L'interview débuta à huit heures et demi. La pièce était soigneusement aménagée, la température idéale : lui dans un sofa, le journaliste dans un autre, entre eux deux une table basse où des verres d'eau leur permettraient d'huiler leurs malheureuses gorges. Dylan le laissa placer son prologue, dispatchant les éléments de la vie de McConnell. Une existence presque banale, semblable à des milliers d'autres dans l'Amérique : des parents républicains, offrant à leur progéniture (lui et son frère) un avenir doré s'ils le désiraient. Tandis que l'aînée s'était engagé en médecine, lui, Dylan, avait tergiversé. Un temps durant il s'était orienté dans le journalisme, puis avait mené des études de lettres, devenant temporairement un enseignant jusqu'à ce que son premier roman lui donne les clés d'un chemin où il pourrait vivre de sa passion. Les questions débutèrent, la plupart était inutile mais l'écrivain s'engagea à y fournir quelques détails. Pourquoi avait-il décidé d'écrire? D'où lui venait les idées de ses récits? Quels conseils pouvait-il prodiguer aux individus souhaitant eux-aussi se lancer dans le rêve de la publication couronnée de succès? Dylan s'essayait à ne pas rester trop évasif, présentant son propre parcours. Il était tombé sur un bon agent, le genre de types qui monte en première ligne pour coller aux visages des personnes importantes ses manuscrits. L'adaptation de son second roman lui promettait un éclairage rassurant, et l'on attendait avec une certaine patience qu'il publie à nouveau quelque chose. Dylan détestait parler mais il s'adonna au jeu des questions/réponses durant presque deux heures, n'hésitant pas à réquisitionner de l'eau durant les brefs pauses que le journaliste autorisait. Il ne donna pas sa couleur politique, préférant tacler les différents partis ; tout ceci n'était que théâtre, scandales et manipulations. Il n'y avait rien selon lui à convoiter ni à espérer des hommes s'engageant dans une telle voie. En arrière-fond, Dylan vit son agent qui s'employait à l'inviter de se réfréner mais il ne s'en soucia pas. Rien n'était plus plaisant que de pouvoir critiquer la politique.